Géorgie : Loi sur la transparence de l’influence étrangère

Quelle est cette histoire ?

Loi sur la transparence de l’influence étrangère. C’est ainsi qu’est nommé la loi qui a fait couler un peu d’encre en France, et ailleurs en Europe, alors que l’on entend pourtant d’habitude peu parler de la Géorgie. Quelques articles de presse1, 2, bien que peu mis en avant, ont en effet fait état des manifestations en cours en Géorgie, menées par les opposants à ce projet de loi.

Les commentaires sur la portée du texte, et les réactions de tous bords, sont nombreux, mais que dit précisément ce texte ? J’ai eu l’occasion d’en traduire des morceaux3, et vous propose ici une synthèse de cette loi, adoptée le 14 mai4 par le Parlement géorgien, après un peu plus d’un mois de débats pour le moins houleux5.

Bien que le texte doive entrer en vigueur prochainement, la présidente du pays, Salomé Zourabichvili, a annoncé qu’elle userait de son droit de veto sur ce dernier6. Via un petit détour par la Constitution du pays, nous verrons également, thème technique et peu traité par la presse, pourquoi ce droit de veto n’en est pas réellement un, et ce qui justifie que je mette ces mots entre guillemets.

Que prévoit le texte ?

En plus de quelques définitions de rigueur, la loi ne contient essentiellement qu’une mesure d’importance : l’obligation d’enregistrement des entités représentant les intérêts d’une puissance étrangère1. Cette déclaration doit être opérée par l’entité elle-même à une agence spécialement instituée, l’Agence Nationale du Registre Public (ANRP).

Tant qu’elle tombe sous les critères de qualification comme entité représentant les intérêts d’une puissance étrangère, l’entité doit effectuer cette déclaration tous les ans, sous peine d’une amende d’environ 8 000 € (25 000 laris géorgiens)7. Il est prévu par le texte que les déclarations soient rendues publiques, et accessibles directement depuis le site Internet de l’ANRP.

Dans le détail, l’entité doit fournir des informations permettant son identification, et est également soumise à une obligation de transparence sur ses finances. L’ensemble des dépenses et des recettes, étrangères ou non, doivent être déclarées, en indiquant leur provenance ou destination et leur objet3. En l’espèce, cette loi est donc une loi de transparence, concernant les entités dites représentant les intérêts d’une puissance étrangère.

Au sens du texte, une entité représentant les intérêts d’une puissance étrangère est une organisation, un organe de presse, ou l’exploitant d’un site Internet d’information, percevant plus de 20 % de ses revenus annuels d’une puissance étrangère8, soit d’une entité directement issue d’un gouvernement étranger, ou, plus largement, d’une personne (physique ou morale) basée dans un état étranger.

Afin de se déclarer, les entités soumises aux obligations prévues par la loi peuvent recourir à une procédure entièrement dématérialisée, sauf pour leur première déclaration. Pour obtenir accès au site Internet permettant de remplir le formulaire, il faut en effet préalablement adresser par courrier une demande à l’Agence Nationale du Registre Public, qui indiquera à l’entité l’adresse du site sur lequel se rendre, pour déclarer, dans un délai de dix jours, les informations nécessaires.

Fondement du droit de veto

Maintenant que le contenu du texte est clarifié, examinons ce que signifie ce fameux veto annoncé par la présidente géorgienne6, 9, en désaccord avec le Gouvernement sur ce texte. Un peu de contexte d’abord : la République de Géorgie est un état disposant d’un Parlement unicaméral (c’est-à-dire avec une seule chambre, il n’y a pas d’équivalent du Sénat français chez eux), et le Gouvernement reflète la majorité des membres de ce Parlement, élue sous l’étiquette du parti politique Rêve Géorgien10.

Le Parlement est souverain : en principe, un texte adopté l’est définitivement, et doit être signé dans les deux semaines par la présidence du pays, selon l’article 46 de la Constitution11. Par exception (de droit), la présidence peut néanmoins suggérer des amendements au texte, et le renvoyer devant le Parlement pour un nouvel examen tenant compte de ces amendements.

Ce droit de renvoi devant le Parlement est souvent appelé droit de veto en Europe12, bien qu’il ne permette en réalité qu’un renvoi du texte devant le Parlement, toujours constitué des mêmes membres. Ce dernier se prononce sur les amendements proposés, et peut les adopter sous réserve d’obtenir une majorité de voix. Si ces amendements sont adoptés, la présidence est alors dans l’obligation de signer la loi. Dans le cas contraire, l’article 68 de la Constitution géorgienne précise11 :

Si le Parlement rejette les amendements proposés par la présidence, la version initiale de la loi est de nouveau soumise au vote. Cette dernière est adoptée si la majorité du nombre total de députés se prononce en faveur de la loi.

Bien qu’à la première lecture de cet extrait, l’intérêt du veto puisse sembler limité, il convient de se focaliser sur les mots majorité du nombre total de députés : hors veto, un texte est adopté par le Parlement à la majorité des présents14. Une force politique, même majoritaire, doit donc mobiliser ses troupes pour voter une loi soumise à veto dans un contexte tendu.

À l’issue de cette procédure donc, et en cas de vote favorable sur le projet initial, la loi entre obligatoirement en vigueur : si la présidence de la République refuse toujours de signer le texte, la présidence du Parlement en sera chargée à la place. En l’espèce, et puisque les amendements proposés par la présidence, et tendant à l’abandon pur et simple du texte, n’ont aucune chance d’être adoptés par une assemblée dont la majorité est constituée de députés du parti Rêve Géorgien, le texte devra être voté par la majorité des membres du Parlement pour être adopté.

Examinons la situation au Parlement : sur les 150 sièges, dix sont actuellement vacants, il suffirait donc de 70 députés en faveur du texte pour que son adoption soit définitive. Sachant que le projet a été adopté par 84 députés contre 30 (soit une écrasante majorité)13 avant d’être soumis à la présidente, et que deux partis : Rêve Géorgien, représentant 76 députés, et Pouvoir au peuple, représentant 9 députés, soit un total de 85 députés, devraient d’ores et déjà voter en faveur du texte, peu de doutes planent sur son adoption.

La probabilité que la loi soit rejetée est donc infime, mais l’importance diplomatique du veto, et son message de soutien aux manifestants sont néanmoins des armes de taille de la présidence géorgienne en vue des élections législatives d’octobre prochain, pour affaiblir le parti majoritaire, Rêve Géorgien, face à ses concurrents15.